La matière est-elle ce que nous croyons ?

Très récemment, je suis tombé sur une vidéo de Jack Houck, un américain qui a organisé, il y a plusieurs décennies déjà, des « spoon bending parties », des soirées « pliage de cuillères ». Il semblerait que 85% des participants aient réussi à plier une cuillère ou une fourchette et cela uniquement par l’action de la pensée. Au-delà de la polémique, initiée par les apparitions d’un certain Uri Geller dans des shows télévisés en Europe et aux Etats-Unis, cette histoire d’objets rigides, capables de devenir molles pour la durée de quelques instants puis de durcir à nouveau, participe à bouleverser notre conception de la matière. J’ai aussi tenté de plier une cuillère par ma volonté mais n’y suis pas encore parvenu. Peut-être que je suis trop formaté, trop diplômé dans la matière pour m’autoriser à transgresser des lois qui nous sont présentées comme immuables. Mais je vais continuer d’essayer, parce que le rebelle en moi s’est toujours dit que hiérarchiquement, la matière se trouve en dessous de l’esprit. Est-il concevable que la manière dont la matière se présente à nous soit dictée par la croyance que nous entretenons collectivement à son sujet ? Pourrions nous soit échapper à cette croyance ou même changer cette croyance collective ? Plier une cuillère par la pensée revient alors à échapper à la croyance collective pour la durée de quelques secondes.
Mais au fond, cette histoire de cuillère nous ramène à notre relation fondamentale avec la matière. De quoi est-elle investie ? De nous rendre plus heureux, plus épanouis ? Même si dans un futur peut être pas si lointain, nous passerons à la maîtrise de l’antimatière et de l’anti-gravitation, est-ce que cela changera notre relation avec la matière? Alors, sans disposer du « pouvoir » de plier cuillères et fourchettes, que pouvons nous faire pour sortir d’une relation tendue avec la matière afin qu’elle participe à notre épanouissement sur tous les plans.
Comme la matière se situe à l’aboutissement de toute une chaîne de création, nous pourrions nous intéresser d’avantage à la manière dont la matière est crée, modelée et utilisée. Il me semble qu’il y a deux aspects à cela, l’un descendant, l’autre ascendant. Considérons tout d’abord le premier aspect : Dans tout processus créatif, l’imaginaire, l’intention, l’égrégore dans le cadre duquel se déroule le processus créatif ainsi que d’autres facteurs subtils trouveront leur aboutissement dans la chose crée. Pour ceux qui pratiquent la peinture et la sculpture, cela est une évidence même, au point que parfois, l’artiste dira que l’œuvre lui a échappé. Dans le monde industriel prévalent les mêmes règles, même si très souvent la créativité passe bien après des exigences telles que faisabilité et rentabilité. En d’autres termes, nos TGV, nos avions, nos installations industrielles et nos créations architecturales devraient, très idéalement, se trouver dans un lien vertical avec les plans supérieurs. Cette connexion aux plans de la perfection divine transparaît de manière évidente dans la pub des smartphones de la dernière génération, affichée version grand écran.
Mais qu’en est-il de l’aspect ascendant ? Bernard de Montréal, illustre penseur et ésotériste québécois, en parlait en utilisant le terme « diviniser la matière ». C’est bien dit, mais concrètement, ça signifie quoi ? Voici mes idées à ce sujet : Un sabre peut être utilisé pour tuer ou pour pratiquer le Kendo, une smartphone peut servir à perdre son temps sur les réseaux sociaux ou partager ses aspirations, une même plante peut servir à empoisonner ou à soigner à l’instar de conium maculatum, remède préparé à partir de la grande ciguë, qui soigne les vertiges. De nombreux objets matériels qui nous entourent portent virtuellement ce double aspect et c’est à nous d’un favoriser un au détriment de l’autre. L’encre peut servir à insulter comme à glorifier, la scie permet de construire des charpentes ou décimer les forêts. En fin de compte, la matière n’a de sens que si elle est connectée au spirituel, sauf que, nous sommes tous responsables de cette connexion. Chaque cellule de notre corps peut être connectée … ou non. C’est ça la cohérence de notre être. Pas si simple d’être dans la matière !